il suffit d'un crayon et de papier pour passer du fictif à la réalité - [ft aslan]

« Croûtard, ne pas ronger mes bandes-dessinées, tu devras. Ne pas ravager la cuisine, tu devras également. Inonder mes draps d'urine, si possible, non plus. Sois un gentil furêt et mange tes granules proprement, sinon je te transforme en écharpe. » N'importe qui en aurait ri aux larmes. Donner des instructions formelles à un rongeur qui te regardait les yeux brillants. Tu soupires, passant une main délicate sur le pelage rayé de l'animal qui se cambre pour savourer la caresse avant d'entendre un tintement significatif. Délaissant la bestiole furtive pour l'écran d'un ordinateur portable, louchant sur les mots inscrits dans le contenu du message. "Dix sept heures au bummz beach cafe aujourd'hui, j'ai besoin de ton aide, ô maitre.". Très bien. Alexis semblait être une jeune femme exigeante, ne souffrant d'aucune réplique. Mais il ne put empêcher un sourire de rehausser ses lèvres à la fin de la phrase. Soit, elle se rattrapait de peu. Récupérant la serviette qui étreint tes épaules, frictionnant cette masse d'ondulations noires qui te servent de chevelure, il semble qu'il te faille te mettre en action. Un tee-shirt noir, de la plus simple facture, un jean aux genoux râpés, une paire de converses qui se rapprochent plus du brun sale que du noir après, du matériel de dessin fourré dans une sacoche en cuir usé par le temps, les cheveux encore humides de la douche salvatrice. La douceur humide de l'Angleterre te manque terriblement, parfois.

De longues minutes de marche à te battre pour rester le plus à l'ombre, le soleil ayant déjà davantage bruni ta peau, si cela est vraiment possible. Postiché devant la porte du piano-bar, passant une main dans ta crinière indomptable. Poussant la porte, les yeux voguant ici et là à la recherche d'une gamine revêche possédant les mêmes outils de travail que lui. Et tu l'aperçoit, sirotant quelque chose, prête au travail. Te déplaçant entre les tables, arrivant avec nonchalance près de la sienne. « Le Maître est arrivé pour secourir le commun des mortels. » Hélant un serveur pour commander un simple jus de litchi rafraîchissant. « Aslan, mais tu le sais déjà. Que puis-je pour toi ? » Elle semble fraîche comme la rosée du matin, les yeux pétillants, défiante, conquérante. Libre et insoumise, rien qu'à sa manière de te regarder, de se tenir. Une rebelle dans l'âme, le fusain comme seule arme.

Elle est posée juste là, avec sa salopette, ses cheveux châtain qui ondulent sur ses épaules. Elle pousse la chaise qui traîne à ses côtés, distraitement, se moque légèrement. Bon feeling, tu te sens à l'aise. À ton avis, les ondes passent plutôt bien. « Je passe encore les portes, rassure-toi. » Elle mordille le bout de son crayon, stressée. Contrainte par la qualité de son travail, d'après les regards qu'elle jette fréquemment sur celui-ci. Un garçon vient poser son verre près de toi, tu tends quelques pièces, le regard dardé sur la jeune fille. Son visage garde encore quelques traces de l'adolescence mais son regard est droit, profond, acéré. Il ne manque rien, ni personne, il semble agripper tout ce qui passe. Une insinuation sur ton prénom. Un sourire amusé sur tes lèvres. Évidemment. « Narnia est sorti il y a onze ans, t'avais quoi, neuf ans ? Petite chose. Exprime-moi où je bouffe, comme le lion. » T'es certain qu'elle va trouver à redire quelque chose, c'est presque ambigu. Elle s'exprime quant aux ombres. Tu laisses tomber tes yeux sur la feuille posée face à toi, observant les contours soignés d'une rose. Excellent choix, d'après toi. Elle semble si facile à croquer, si simple à exprimer sur le papier. Il n'en est rien. Esquisser les plus infimes pétales, la sorte de cyclone qu'elles forment en l'intérieur, la tige rugueuse et parsemée de quelques aiguillons acérés. Les yeux, ces cicatrices de tiges feuillues que les fleuristes effacent d'un coup de sécateur. Les ombres sont le plus difficile à rajouter parce qu'elles doivent paraître naturelles sur un croquis effectué de la main de l'homme. « Tu devrais commencer léger, t'orienter par rapport à la lumière. Tu avais un modèle pour le dessin ? C'est beaucoup plus simple quand tu peux te baser sur quelque chose de tangible. Tu peux toujours foncer par la suite, estomper légèrement avec ton doigt pour que ça soit plus homogène, moins strict. » Tu accompagnes tes explications en rajoutant quelques touches sur son croquis, laissant la mine de graphite imprimer tes doigts de sa texture. « Tu vois ? Faut juste prendre le coup de main, après c'est juste une question d'observation et de dégrader légèrement ta teinte. » Tu passes une main dans ta crinière, c'est machinal, t'y peux rien. T'auras surtout du gras de crayon alors que tu viens de te doucher, mais bon, c'est ça la vie d'artiste. T'en profite pour prendre une gorgée de litchi, qui vient rafraîchir ton gosier.

T'aimais beaucoup sa répartie. Avoir quelqu'un avec qui parler sans ambiguïté, sans travers. Une personne franche, droite dans ses bottes, qui n'hésite pas à rétorquer quand l'envie lui ne prend. C'était ce qui faisait qu'elles étaient amusantes, pleines d'intérêt. Tu croises les bras, une moue sur les lèvres. « Treize ans. » Tu tires la langue, comme un gamin. Tu souris au final, à son association du chaton avec la personne que tu es. Si seulement. T'aurais bien aimé. « Tu serais étonnée. » Tu restes vague, t'as pas spécialement envie de dériver là-dessus. Puis tu commences ton explication, manquerait plus que les lunettes sur le nez et le col qui remonte sur un pull-over. Tu décris les étapes, tu esquisses quelques petites choses pour démontrer tes propos. Tu ajoutes quelques touches à côté, quelques exemples, pas envie de toucher à son croquis. Elle doit le terminer seule, comprendre les choses et les appliquer. Il en a eu du temps pour perfectionner ses traits, cloîtré en quatre murs gris. Deux ans à gratter les feuilles, à continuer sur les murs quand le stock s'était écoulé. Tu jettes quelques coups d'oeil, pendant tes explications, observant la jeune fille concentrée sur les feuilles, les yeux rivés sur les petits croquis. Appliquée, zélée, tout ce qu'il faut pour réussir, ce qui tire un sourire léger sur tes lèvres. Tu sirotes rapidement ton jus de litchi avant de retourner à Alexis, qui dessine doucement, l'oreille aux aguets. « J'ai eu du temps pour progresser, ça vient à force d'en faire. » Tu frottes une trace noirâtre sur la tranche de ta main droite avant de reprendre. « Il faut vraiment visualiser clairement ce que tu veux esquisser, dans un contexte précis. Prendre une atmosphère, un environnement pour base. Imaginer la lumière, d'où elle vient, les textures. Tout ce qui peut rendre ton modèle réel. Parfois c'est bien de commencer avec quelque chose que tu peux avoir sous la main parce que tu peux le toucher, l'évaluer, le voir réellement. Mais t'as déjà un sacré coup de crayon, c'est une très jolie rose. »